Les chevaliers littéraires du Moyen Âge central ne sont pas tous des héros exemplaires. Certains d’entre eux contredisent par leur comportement le rôle régulateur que les écrivains des XIIe et XIIIe siècles attribuent à la chevalerie. Si les « marges » de la chevalerie romanesque du temps incluent les chevaliers couards ou incapables, elles concernent très souvent des figures criminelles destinées aussi bien à servir de « contre-exemples » à des personnages positifs qu’à légitimer l’idéologie courtoise et la vocation justicière de la chevalerie. Elles asseyent une réflexion commune à beaucoup d’auteurs sur la légitimité du recours à la force.
Plusieurs éléments définissent un chevalier criminel et permettent de le considérer comme un représentant des marges d’un monde civilisé. Tout d’abord, ce type de personnage est constamment isolé d’un point de vue éthique ; il n’est pas entouré de pairs partageant les mêmes valeurs que lui. Il adopte ensuite en permanence des attitudes ou des comportements « délictueux » au sens où l’idéologie courtoise les condamne, alors qu’il jouit de l’ensemble de ses facultés mentales ou physiques. Plus précisément, il se livre à des actes qui transgressent avec violence les règles juridiques et morales organisant la vie sociale : il devient bandit, violeur, assassin ou défie un seigneur légitime. Brisant la paix d’un royaume ou d’une seigneurie, il provoque d’autant plus l’indignation et la colère et est considéré comme un ennemi public irréductible.
La criminalité chevaleresque est donc un ensemble de comportements qui enfreignent en permanence l’éthique d’une violence légitime et maîtrisée : les chevaliers criminels sont d’autant plus dangereux qu’ils sont bons combattants. Incarnations de la démesure, ils réalisent la potentialité destructrice de la chevalerie, activité violente qui suppose parfois que l’on inflige la mort. Le criminel chevaleresque se définit aussi par des fonctions narratives qui le rapprochent de certains avatars monstrueux du refus d’une éthique commune ; il peut également être comparé à des figures d’une humanité archaïque. Les jeunes filles et les représentants d’une autorité positive sont les principales victimes de ces figures d’une violence inquiétante.
Auteur: Pierre Levron
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